Une monnaie des BRICS adossée à l’or pour concurrencer le dollar ?

Interviewée par CNN le 15 avril dernier, Mme Janet Yellen, secrétaire au Trésor américaine déclarait : «ll y a un risque quand on utilise des sanctions financières qui sont liées au dollar (...) qu’à terme, cela puisse saper l'hégémonie du dollar». Propos prémonitoires ou simple analyse logique ? Cette crainte paraît particulièrement fondée quand on voit la vitesse avec laquelle les BRICS sont en train de construire un système monétaire parallèle qui pourrait être rattaché à l'or. Ce qui n'aurait rien d'étonnant dans la mesure où trois de ses membres, à savoir l'Afrique du Sud, la Russie et, dans une moindre mesure la Chine, sont de gros producteurs de métal jaune. De surcroît, rien qu’au cours des huit derniers mois, Pékin a acheté 165 tonnes d’or portant ses réserves officielles à 2.115 tonnes. Chiffre probablement très en dessous de la réalité, l’Empire du Milieu ayant fait, selon des sources suisses crédibles, des achats non comptabilisés officiellement sur le marché parallèle depuis plus de dix ans.

Du 22 au 24 août prochain, doit se tenir en Afrique du Sud un nouveau sommet des BRICS. Auquel, soit en passant, Emmanuel Macron avait prétendu vouloir participer. En vain !

Annonce choc le mois prochain ?

En dehors du fait que les dirigeants des cinq nations en question devront étudier les nombreuses candidatures de pays qui souhaitent devenir membres, une rumeur persistante laisse prévoir qu'ils annonceront la création de leur nouvelle monnaie. Bien sûr, il ne s'agit pas d'une monnaie fiduciaire avec pièces et billets mais d'un système reposant sur le système de la blockchain des crypto-monnaies. Etant entendu que la comparaison n’est que technique. La nouvelle devise étant évidemment sous contrôle des émetteurs. Ceci pour faciliter les échanges entre eux, ne plus être dépendants des variations des monnaies des uns et des autres et surtout sortir de la zone dollar. Mais le plus important est que cette nouvelle devise serait adossée à l’or.  De manière à immédiatement obtenir la confiance des marchés. Ce qui reviendrait à une déclaration de guerre économique au dollar.

Un processus accéléré par les sanctions

Cette initiative n’est pas neuve. Sa mise en chantier a simplement été fortement accélérée par les sanctions prises par les Occidentaux au début de la guerre d’Ukraine. Sanctions dont l’inefficacité se confirme chaque jour. Comme le montre l’information révélée par notre confère Business AM (14/07/23) qui note : «Le prix du pétrole russe dépasse le plafond imposé par le G7». Ce qui ne surprendra pas nos lecteurs puisque nous avions dénoncé la vacuité et la nuisance de ces mesures dès le début (1) (2).

L’idée de créer une nouvelle monnaie à vocation internationale n’est pas neuve, puisqu’elle a été lancée dès 2009 lors d'une réunion des BRIC en Russie. À cette époque, l'Afrique du Sud ne faisait pas encore partie du groupe qu'elle n’a intégré qu'un peu plus d'un an plus tard. Cette idée s'inscrivait déjà dans la volonté de dédollarisation que nous avons évoquée par ailleurs (3). Toutefois, le processus a été considérablement accéléré après que les États-Unis eussent gelé les actifs de la Banque centrale de Russie au début de la guerre d’Ukraine. Mesure parfaitement illégale et malhonnête qui a créé une crainte dans nombre de pays qui avaient des dépôts importants dans les banques américaines. Chacune se posant, à bon droit,  la question : «En cas de divergence avec la volonté politique américaine, est-ce que je ne risque pas, moi aussi, de voir mes avoirs arbitrairement gelés ?».

 La «New Development Bank» à Shangai est déjà le siège de la banque des BRICS. (Wikipedia)

Quand les banques centrales retirent leurs avoirs des États-Unis...

À telle enseigne, qu'en quelques mois, 85 fonds souverains et 57 banques centrales ont retiré leurs réserves d'or des États-Unis ! Un deuxième facteur qui a accéléré le mouvement est l'interdiction de faire du commerce avec la Russie. Qu’en dehors des Occidentaux, des Australiens, des Coréens et des Japonais, personne n’a voulu respecter. Ce qui a poussé Moscou à proposer à ses principaux partenaires économiques de ne plus traiter en dollars mais dans leurs devises nationales. Ainsi, les échanges entre la Russie et la Chine se font en yuan et rouble, avec l'Inde en roupies et roubles, etc. Toutefois, ce système manque de souplesse. À partir du moment où les BRICS disposeraient d'une monnaie commune considérée comme solide parce qu'adossée au métal jaune, il n'y aurait plus aucune raison de payer les échanges en dollars. Ou en monnaies plus ou moins stables. De ce fait, une nouvelle devise des BRICS paraît particulièrement attirante pour bon nombre de pays. Ce qui explique pourquoi, au cours de la prochaine réunion du mois prochain en Afrique du Sud, ils devront traiter les demandes  d’adhésion entrées par l'Algérie, l'Argentine, l'Égypte, le Barhein, la Biélorussie, l'Indonésie, la Thaïlande. À laquelle il faut ajouter le Nigéria qui a connu un échec total avec son essai de niara électronique, inadapté à un marché aussi exigu. Mais ce n'est pas le plus important. On parle aussi de candidatures de l'Arabie Saoudite, des Émirats arabes unis et de l’Iran. En ce qui concerne les deux premiers, piliers de la zone dollar, c'est évidemment un pied de nez aux États-Unis. Mais surtout un coup de tonnerre dans le marché pétrolier si ses principaux producteurs devenaient partie prenante du nouveau système.

Ne pas oublier : les États-Unis contrôlent le marché des obligations souveraines

Toutefois, les États-Unis ne sont pas sans défense. Dans la mesure où ils contrôlent depuis des dizaines d'années le marché des obligations souveraines, il faudra que les BRICS en créent un nouveau, opérationnel et fiable. Ce qui ne se fait évidemment pas en quelques mois. Mais, vu le poids économique des membres actuels des BRICS et surtout de celui de certains des candidats à l'entrée dans l'association, cela pourrait s’avérer possible à moyen terme.

Quoi qu'il en soit, si cette information est exacte et que les BRICS annoncent cette création monétaire lors du sommet en Afrique du Sud, cela va créer un véritable tremblement de terre dans le monde financier. Et il faudra s'attendre à une réaction très forte des Américains qui risquent, entre autres, d’essayer de faire chuter le cours de l'or dans l’hypothèse où le métal jaune servirait de support à la nouvelle devise. Mais, a contrario, cela jouerait en faveur de ce dernier qui ferait sa grande rentrée dans la finance internationale. Ce qui promet quelques secousses sur les marchés.

Jacques Offergeld

(1) De la Covid à l’Ukraine, un seul vainqueur : la Chine. (21/03/22)
(2) L’ancien président du FMI : «Ces sanctions risquent d’atteindre plus les «sanctionnés» que les «sanctionneurs». (24/10/22)
(3) Vers une «dédollarisation» des échanges internationaux ? (22/02/23)