La liberté de la presse en danger

La démocratie est composée de trois pouvoirs indépendants: l’exécutif, le législatif et le judiciaire, auxquels s’ajoute encore un pilier, la presse, libre et indépendante. En France cette liberté est inscrite dans la loi de 1881 qui a comme principe d’interdire le contrôle a priori, la censure, mais de permettre la sanction a posteriori par voie de justice. Le même genre de législation existe dans toutes les démocraties modernes (elle est même inscrite dans la constitution américaine) et a largement fait preuve de son efficacité, permettant à la presse d’assumer pleinement son rôle de contre-pouvoir.

Pour preuve de son importance, notons que parmi les premières mesures que prennent les dictatures, il y a les restrictions et les interdictions des organes d’opposition pour transformer le secteur en vecteur de propagande.  C’est ce qu’on peut constater aujourd’hui dans les démocratures telles que la Turquie, la Russie ou l’Arabie saoudite, voire dans les pays où le nationalisme est au pouvoir tels la Pologne, la Hongrie, voire même les Etats Unis, dont les grands quotidiens (New-York Times, Washington Post, Wall Street Journal,…)(1) sont pourtant – et demeurent heureusement - des exemples de presse de qualité, grâce au sérieux et au professionnalisme de ses journalistes, et à ce titre, sont ressentis comme «A Pain in the Ass» (sic) par l’administration Trump.

Mais les défis qu’affronte la presse ne sont pas que politiques. Le premier est l’évolution technologique des médias.

A l’origine, n’existait que la presse écrite, qui, au fil du temps, gagna en qualité et en efficacité, devint informative et/ou d’opinion (le «J’Accuse» de Zola), ou populaire.

Puis vint la radio, qui fonctionna comme complément, et qui était plus recherchée pour ses programmes musicaux ou de divertissements, les rédactions professionnelles demeurant l’apanage de l’écrit.

Vint ensuite la télévision qui offrait ses rendez-vous quotidiens et qui fit entrer l’image dans les foyers. Mais là encore, au début, le nombre limité de chaînes, toutes généralistes, ne porta pas vraiment ombrage à la presse écrite. Et pourtant, le ver était dans le fruit.
En effet, l’image fascine, au détriment de la compréhension.
De plus, elle donne l’illusion de l’objectivité, ce qu’elle n’est jamais, car, même si l’émetteur se veut neutre, elle ne montre jamais qu’un point de vue, au sens littéral, d’un événement. De plus, bien vite se pose la tentation du sensationnalisme au détriment de la réflexion. Enfin, le nombre et l’analyse des informations dispensées en un certain laps de temps sont largement inférieurs à ceux publiés par l ‘écrit.

Ce phénomène s’amplifia avec la multiplication des chaînes et l’apparition de l’information en continu qui, au prétexte de tenir le public informé en temps réel, doit remplir ses grilles et répète ad nauseam les mêmes sujets, ce qui a pour conséquence de semer la confusion quant à leur importance relative.

Et on constata que, progressivement, la télévision prit le pas sur la presse écrite qui vit ses tirages diminuer, certains titres disparaître ou fusionner, au détriment du pluralisme. Dans certains cas de grands groupes financiers ou l’Etat vinrent à la rescousse du secteur, ce qui compromit son indépendance par rapport à ces actionnaires. Or, comme l’exprime la devise du Figaro, de la plume de Beaumarchais, «Sans liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur».

Un fléau : la fausse presse Internet

Depuis une vingtaine d’années, un nouveau fléau est apparu avec le développement d’Internet : l’information gratuite. Au début, la presse se laissa faire, voire pirater, ne voyant pas que ce faisant elle tombait dans un double piège : la baisse de son lectorat et l’assèchement de son marché publicitaire, soit ses deux sources de revenus, les opérateurs du GAFA proposant chacun leur offre d’information, souvent établie par des algorithmes, en complément de ses autres services, le tout grassement payé par les annonceurs pris au marché traditionnel.

Or la presse de qualité n’est pas gratuite. Une rédaction compétente a un coût, qui permet le journalisme d’investigation, d’opinion, d’analyse, le seul qui offre une réelle valeur ajoutée.
Mais les difficultés rencontrées ces derniers temps ont entraîné une fonte des effectifs et en corollaire une certaine paresse, où le scoop accrocheur est privilégié par rapport à la recherche de fond.

C’est sur ce terreau nauséabond qu’a éclos un nouveau concept, dont l’administration américaine se pose en héraut, celui des Fake News, fausses nouvelles, qui ont pour but de travestir la réalité, nier l’évidence, fut-elle scientifique, et accuser ses contradicteurs d’en être eux-mêmes des émetteurs.

A cet égard, les réseaux sociaux, jouent un rôle particulièrement pernicieux car, pour paraphraser Umberto Ecco, la voix d’un idiot y a la même importance que celle d’un prix Nobel.

Umberto Eco : “Sur les réseaux sociaux, la parole d’un sot a autant de valeur que celle d’un Prix Nobel”. (© alertadigitale)

Contrairement à la presse, ceux-ci n’ont aucun filtre et n’importe qui peut se prétendre journaliste, voire scientifique, philosophe… Ce qui constitue du pain béni pour ces détournements, de même que pour toutes les thèses complotistes, même les plus farfelues, tous les propos racistes (à cet égard, on observe une recrudescence particulièrement inquiétante de l’antisémitisme).

Alors que Facebook censurera, grâce à un algorithme une reproduction de «L’Origine du Monde» de Gustave Courbet, il laissera passer des propos négationnistes, pourtant passibles de sanctions pénales.

Certains gouvernements songent à légiférer, mais ne risque-t-on pas alors de remettre en cause les lois anciennes qui ont fait preuve de leur efficacité, au profit de l’instauration d’une certaine censure, dont on sait où elle commence, mais…

Entre deux feux

Le secteur est donc pris entre deux feux. D’une part, une oligarchie composée de nouveaux géants californiens sur lesquels aucun gouvernement n’a ou ne veut avoir de prise actuellement. A cet égard, le gouvernement américain s’est montré dans le passé plus efficace dans sa lutte contre les monopoles, puisque la première loi antitrust fut votée en 1911 pour contrecarrer la position dominante de la Standard Oil de Rockefeller.

D’autre part, les Etats pour lesquels la tentation est grande de légiférer en vue d’un plus grand contrôle des contenus, ce qui constitue une atteinte à la liberté de la presse, garante de la démocratie.

Un défi : encourager la lecture des jeunes à l’ère des réseaux sociaux (© Bourse)

Et si on essayait l’éducation, en donnant aux enfants le goût de la lecture, l’esprit critique, grâce à des cours d’Histoire bien structurés, l’engagement citoyen afin qu’ils se sentent responsables de leur vie et non dans l’attente passive du secours des pouvoirs publics, qui en font des proies faciles pour les prédateurs avides de pouvoir.

C’est dans ce domaine que s’inscrit la presse, pour autant que nous y contribuions tous, en la lisant, en y investissant, en la respectant pour ce qu’elle doit être, un socle d’information et de réflexion, faute de quoi, nous deviendrons les moutons de la ferme d’Orwell.

(1) NDLR : On observera néanmoins que, dans leur volonté de combattre Trump par tous les moyens, certaines publications de qualité ont “dérapé” et diffusé également des informations erronées et/ou partiales.

François Deren